Tracer sur un même graphique l’évolution de deux indicateurs qui sont rarement associés peut, moyennant les précautions d’usage dans ce genre d’exercice1, aider à percevoir l’étendue des effets négatifs de l’évolution du marché automobile au cours des dernières années.
Les constructeurs d’automobiles aiment à souligner les effets bénéfiques des nouvelles technologies dont ils équipent leurs véhicules. Parfois à raison ; certains équipements de sécurité (souvent rendus obligatoires contre le gré des constructeurs), de la ceinture aux airbags en passant par l’ABS, ont permis de diminuer très significativement le nombre de victimes de la route (tués et blessés graves). Parfois à tort ; l’application de l’injection directe aux moteurs à essence s’est accompagnée d’une véritable explosion du nombre de particules très fines (nanoparticules) émises par les véhicules concernés. Mais, toujours, l’approche est la même : il s’agit de renforcer l’attrait des véhicules neufs (et si possible des plus chers d’entre eux), ce qui est bien compréhensible dans le chef d’acteurs économiques dont l’activité (à but lucratif) consiste à concevoir, produire et vendre des véhicules.
Parfois aussi, ils observent un silence (im)pudique face aux conséquences attestées des évolutions qu’ils impriment au marché automobile en promouvant préférentiellement les véhicules les plus lourds et les plus puissants2. Ainsi, le fait que l’augmentation de la masse et de la puissance d’un véhicule induise une augmentation de sa consommation énergétique (tableau 1) et de sa dangerosité3 n’est bien sûr jamais mentionné dans le matériel promotionnel.
Le silence peut se transformer en réaction agressive lorsque la dénonciation des dérives du marché automobile risque de tuer la poule aux œufs d’or que constitue le SUV. Au risque de lasser, c’est néanmoins une variation sur le thème de la dénonciation des SUV que nous proposons ci-dessous, sous forme graphique.
La corrélation
Au cours des dernières années, le nombre de tués sur les routes et les émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Belgique suivent une évolution assez similaire (figure 1). Cette corrélation mène tout esprit curieux à l’investigation d’une éventuelle relation de causalité. Non pas entre ces deux variables : le nombre de tués sur les routes ne peut bien évidemment pas déterminer les émissions de CO2 des voitures neuves ni inversement. Mais d’une éventuelle causalité commune : un phénomène qui pourrait à la fois expliquer (du moins en partie) la stagnation puis l’accroissement des émissions de CO2 des voitures neuves et du nombre de personnes décédant sur les routes.
La causalité potentielle
Remarquons d’abord que le graphique 1 n’est pas particulier à la Belgique : les évolutions qui y apparaissent sont observées également à l’échelle européenne.
Remarquons ensuite que la stagnation puis l’augmentation du nombre de tués sur les routes commence en 2016 pour les émissions de CO24 et en 2017 pour les décès sur la route. Les émissions des voitures neuves sont évidemment fonction des ventes durant l’année considérée. Le nombre de décès sur la route est, lui, en partie déterminé par les caractéristiques du parc automobile (en partie : de nombreux autres paramètres ont évidemment une influence, des conditions climatiques à l’état des voiries en passant par les comportements des usagers, les politiques de sensibilisation et de contrôle-sanction, …). On peut dès lors soupçonner l’existence d’une évolution à grande échelle du marché automobile dont les effets se feraient bien évidemment sentir au niveau des caractéristiques des voitures neuves et se marqueraient avec un temps de retard5[7] au niveau des caractéristiques du parc automobile. Cet article offre la livraison gratuite sur les produits qualifiés, ou achetez en ligne et récupérez en magasin dès aujourd’hui au département médical.
Sur la période concernée, la seule évolution à grande échelle du marché automobile est l’accroissement du pourcentage de voitures de type SUV. Comme nous l’avons déjà démontré (de même, excusez du peu, que l’OCDE), cette évolution est clairement responsable de l’augmentation des émissions de CO2 des voitures neuves.
Entre 2010 et 2015, le pourcentage de SUV dans les ventes de voitures neuves a augmenté de 2,18% par an (figure 2) – et de 4,78% en moyenne annuelle sur la période 2015-2019 pour s’établir à 41,9% en 2019. Cet accroissement plus que sensible de la part des SUV dans le marché du neuf est tel que ces véhicules représentent aujourd’hui un pourcentage significatif du parc automobile (que, malheureusement, aucune donnée accessible ne permet d’objectiver).
Rappelons que les assureurs tiennent compte du type de véhicule dans leur politique de segmentation pour déterminer le montant de l’assurance en responsabilité civile. Ainsi, pour CBC : « La puissance va déterminer votre rapidité d’accélération et la vitesse maximale du véhicule. Les véhicules d’une puissance supérieure sont plus souvent impliqués dans des accidents, et causent aussi des dommages plus sérieux en cas d’accident. Très concrètement, les tout-terrain causent par exemple souvent des dommages plus graves, lorsqu’ils provoquent un accident. Nous tenons compte de ce critère pour l’acceptation et la tarification. » Pour Partners : « Les caractéristiques du véhicule (marque, modèle, puissance, caractère sportif, type de carrosserie, énergie, valeur d’assurance,…) permettent d’appréhender le comportement du conducteur et la dangerosité potentielle du véhicule, influant tous deux sur la gravité des sinistres. »
Il semble dès lors fondé d’émettre l’hypothèse que la croissance – impulsée par les constructeurs – de la part des SUV dans le marché automobile – et donc dans le parc avec un temps de retard – est responsable des contreperformances observées ces dernières années à la fois en termes d’émissions de CO2 des voitures neuves et de personnes tuées sur la route.
IEW et Parents d’Enfants Victimes de la Route – SAVE asbl (PEVR) n’ont pas attendu que ces évolutions se mettent en place pour tirer le signal d’alarme et proposer, cela fait bientôt sept ans !, un concept – la LISA Car – pour en atténuer (et si possible éliminer) les effets. Sept années à plaider et à attendre des actes concrets de la part des pouvoirs exécutifs et législatifs, aux niveaux régional, fédéral et européen. Attendre en vain, hélas, si l’on excepte les tout petits pas réalisés de loin en loin. La prégnance de la culture automobile et la crainte des lobbys industriels ne semblent malheureusement pas étrangères à cette apathie de celles et ceux qui pourraient agir. Et ce n’est pas verser dans le procès d’intention que de formuler cette observation. Quand donc redresseront-ils.elles la tête ?